9.3.09

NO RESCALDO DE PARIS

O lançamento de «O Jogo da Liberdade da Alma» e «O Espaço Edénico» em Paris, no passado mês de Fevereiro, teve já alguma repercussão (nomeadamente em leitores franceses muito conhecidos que reagiram de forma entusiástica à leitura deste livro: Pascal Quignard e Jean Louis Schefer) e foi acompanhado, na sessão realizada no Centro Cultural da Fundação Gulbenkian, por três intervenções de que reproduzimos aqui hoje alguns momentos mais significativos.


Carolina Leite / Matteo Bianchi
(da editora Pagine d'arte):

[...] Merci à tous d’être venus à ce bel endroit pour célébrer la parution du Jeu de la liberté de l’âme, un petit livre paru en 2003 dans sa version originale et d’un deuxième texte, L’Espace édénique – une longue interview de Maria Gabriela Llansol réalisée en 1995. Ce deuxième texte a été inclut dans l’idée de permettre, au tout nouveau lecteur, d’avoir un ensemble de repères « conceptuels » de l’atmosphère Llansol, sachant que le lecteur risque de se sentir dépaysé à la seule lecture du premier texte – sensation du reste qui perdure à côté de la fascination qui le texte puisse exercer sur chacun de nous.
Pagine d’Arte, Matteo Bianchi et moi-même, s’engage à divulguer le texte de Maria Gabriela Llansol, aussi bien en français qu’en italien, et nous espérons pour bientôt la parution de nouveaux titres.
La raison pour laquelle nous nous engageons dans ce projet – qui a demandé la création d’une nouvelle collection, ce nouveau ciel vague – c’est tout simplement parce que nous sommes persuadés de la capacité de ce texte à « parler » à beaucoup d’entre nous. Nous pensons que ce texte a des choses importantes à dire, quelques idées claires qui peuvent être décisives sur nous-mêmes mais aussi sur la qualité du monde que nous sommes en mesure de créer autour de nous. Encombrés par le bruit d’impuissance des discours d’actualité, nous oublions trop souvent la place de créateurs de réalité qui nous est réservée et que chacun de nous peut toujous expérimenter - ce texte nous le rappelle sans cesse.
Notre engagement se fonde ainsi sur cette idée de partage avec les futurs lecteurs, de l’ univers llansolien, qui nous sera entrouvert par Maria Graciete e João Barrento, et que l’on pourrait mal synthétiser en disant qu’il est fait d’une rare intelligence poétique, d’une étrange et puissante beauté, et d’une forme de conscience particulièrement aigüe sur toutes les formes de réalité (vivante ou inerte, présente ou absente, fixe ou imprévisible), même sur les rééls non-existants dont parlait Augusto Joaquim, mari de l’auteur et premier lecteur de ce texte.
Avec Matteo Bianchi, nous sommes très heureux de partager avec vous et d’autres futurs lecteurs, les joies et les énigmes du texte de Maria Gabriela Llansol, ainsi que les 5 biens de la terre, come elle l’a écrit, et qui sont : « la connaissance, l’abondance, la générosité, le plaisir de l’amant et la joie de vivre » (Maria Gabriela Llansol, Lisboaleipzig 1, 1994: 85).

Desenho de Alexandre Hollan

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Le jeu de la liberté de l'âme
(tradução de Cristina Isabel de Melo)

Impressions sur la musique frontale

I

_____________ les deux hommes nus au piano. Piano de
grand volume et lustre. La vibration de l’un — celui au
premier plan —, cache l’autre, qui pourrait même me
sembler vêtu. Le clavier du piano répond avec intensité
au premier, mais n’exclut pas le second qui, s’il est nu,
c’est parce que l’on voit clairement la nudité du premier.
La nudité du premier n’est pas d’ordre physique incluant,
cependant, le corps qui transparaît, dans toute sa gran-
deur, à travers le tempo musical. Et toujours reflue sur
cette image qui, bien que forte, jamais ne tourne l’hom-
me vers moi. Son sexe ne me sera pas révélé. Mais, en
tant que mot, la musique s’oxyde en lui, se substitue à
son premier sens initial et, sans égarement ni perte, je
l’entends plus loin, enveloppant les colonnes du cloître,
sur le balcon filant, autour d’images arrachées au passé
— le bouton de rose mystique.

**

Maria Graciete Besse
(professora de Literatura Portuguesa na Sorbonne):

[...]
Pour pénétrer dans l’œuvre de MGL, il nous faut sans doute dessiner un espace particulier, peut-être un « espace édénique », c’est-à-dire un lieu imaginaire que l’auteure définit elle-même comme « un espace qui vit confronté (…) au pouvoir et aux images du commencement, à la multitude d’images qui arrivent de l’horizon».
Cela implique qu’il nous faut laisser de côté de nombreuses idées préconçues formées à la lecture du récit traditionnel, et nous ouvrir à une sorte de perplexité, à ce que Maria Etelvina Santos nomme une «lecture libidinale», dans laquelle s’inscrit souvent la jubilation. En fait, MGL brouille toutes les pistes et nous convie à voyager dans un espace d’égarement où, faute de pouvoir nous reconnaître, nous devons sans cesse nous réinventer, entre la jouissance de la perte et l’inquiétude de la rencontre, devenant ainsi ce qu’elle-même appelle un « legente », c’est-à-dire un lecteur qui participe dans une intense réflexion sur le texte littéraire considéré comme un univers purement verbal qui nous donne accès à la connaissance et parfois à ce que MGL nomme les « scènes fulgueur », c’est-à-dire des « noyaux scintillants » qui correspondent à des moments étonnamment beaux, inscrits dans les rencontres qui n’ont jamais eu lieu, mais qui auraient pu se produire et, dans ce cas, changer l’ordre des choses.
[...]

Le Jeu de la Liberté de l’Ame

Le volume traduit aujourd’hui comprend deux textes différents et pourtant solidaires, fonctionnant en écho, à l’image de toute l’œuvre de MGL: le premier est un récit intitulé Le jeu de la liberté de l’âme, daté de 2003 ; le second, qui porte le beau titre de L’espace édénique, est un entretien accordé au journal Público en 1995, et qui nous aide à mieux comprendre les enjeux de cette écriture à dominante spéculative qui cherche à « ouvrir des brèches de respiration à l’intérieur de la langue » (je cite MGL), d’une langue qui se trouve au plus près du sens et des sens, qui se dit à travers les métamorphoses du sujet, comme la critique l’a déjà démontré (je pense en particulier à Pedro Eiras qui a aussi écrit des pages magnifiques sur l’œuvre de MGL).
Le jeu de la liberté de l’âme est constitué de 33 fragments dont 10 commencent par un trait horizontal, comme si le silence alternait avec le rythme de l’évocation. Pour bien comprendre ce récit il nous faut prêter l’oreille, car l’écriture y accorde une grande importance à la musique, ou plutôt au geste musical, semblable au geste d’écrire, avec son rappel des origines. Il paraît évident que dans un monde globalement bruyant et sourd la musique est une manière d’être, à l’écoute de l’invisible.
[...]
Si le texte est musique, il y a bien là autre chose qu’une séduction sonore, il y a une manière musicale de penser et d’écrire le temps. Loin des formes figées qui enferment et séparent, MGL invente des formes mobiles, dynamiques, toutes de rythme et d’élan, capables de « déprogrammer » la littérature, l’ouvrant à un espace plus large où se développe une pensée du temps qui essaie de conjurer la conception linéaire d’une histoire allant vers une fin, orientée vers un achèvement. Or dans ce texte, rien ne s’achève, tout recommence dans l’intensité d’une « félicité exceptionnelle ».
Comme dans la plupart des textes de MGL, le lecteur fait d’abord l’expérience d’un « entre-temps » qui n’a ni début ni fin, et pour cela éternellement recommence, mais il découvre ensuite une sorte de dilatation qui justifie une affirmation déjà présentée dans Un faucon au poing, selon laquelle « Ecrire, c’est amplifier peu à peu».
MGL nous a laissé une oeuvre qui soulève d’importants questionnements tant littéraires que philosophiques, nous proposant toujours une vision de l’écriture comme moyen privilégié d’accès à la connaissance.
Semblable à beaucoup d’œuvres de la modernité, la pratique littéraire de MGL obéit à l’exigence du fragmentaire (ou du « fragmental », pour reprendre une belle expression de Matilde Gonçalves), mais chez elle le fragment n’a rien d’un manque, d’un défaut d’unité, il ne se réfère à aucune totalité perdue, il ne tend pas vers une continuité disparue ou encore à venir. Il s’agit plutôt d’un ensemble ouvert où l’on peut lire l’expérience d’un être en mouvement qui se déploie dans un espace singulier, que l’auteure nomme un « espace édénique », c’est-à-dire un espace qui ne coïncide pas forcément avec celui du monde : il est bien plutôt le monde dédoublé, un espace imaginaire où tout devient mouvant, dans l’entrecroisement de la musique et de l’écriture dont Le jeu de la liberté de l’âme nous donne un bel exemple.
[...]

José Manuel da Costa Esteves (moderador), Cristina Isabel de Melo (tradutora) e João Barrento em Paris

**

L’homme nu qui joue a des muscles de musique fron-
tale, un feuillage érotique pour sexe, descendant le long
de ses épaules sur le clavier du piano.
Je fixe mon attention sur ce feuillage, et sur les cheveux
bien fournis qui sous la lumière, sous les projecteurs de la
rampe, sont d’une espèce diurne. Ils attirent l’attention.
Peuvent ostenter tout sexe désiré comme signe de royau-
té, de royauté de lire cependant.
En cet instant, ils lisent des sonorités. Et, dans le texte que
je suis en train de lire, les textes soudain deviennent silen-
cieux, par moments, renoncent.
Mais moi, légente1 éveillée pour écrire, je ne renon-
ce pas. Je me transforme en amante, ou musiquante, en
celle qui ne pratiquait pas ce savoir qui éveille, à travers le
clair de lune libidinal qui émane de cette crinière abon-
dante d’où je vois jaillir la musique.

**
João Barrento
(Espaço Llansol)

Un jour, dans l'exil de Belgique, Maria Gabriela Llansol s'est aperçue du fait que le terrain sur lequel se tenait l'écriture du roman était un marais aux eaux stagnantes, sans perspectives de régénération; en même temps elle se méfiait des catégories courantes de la théorie littéraire qui aspiraient à la vivissection déscriptive des textes (version structuraliste) ou à cerner son noyau essentiel (versions essentialistes). C'est alors qu'elle créa son propre canon et ses normes singulières.
[...]

Destaque para M. G. Llansol na montra da Livraria Tschann,
Boulevard Montparnasse

J'éssaierai de résumer en quelques points qui me semblent éssentiels la signification de cette nouvelle écriture-vie. Et je dis écriture-vie parce que chez Llansol vie et écriture se confondent, mais sans aucun trait de confessionalisme: il s'agit lá d'un «écrivivre» nouveau de la part de celui qui écrit, et d'un «écrilire» unique du côté du «légent»; car lire Llansol c'est lire du côté de l'écriture et du côté de la vie, dans un procéssus qui ne s'achéve jamais et qui éxige et engendre l'amplification du monde et l'accroissement de l'âme (il ne faut pas avoir peur de prononcer des mots stigmatisés comme «âme», «esprit», «amour» et d'autres quand il s'agit de Llansol: d'ailleurs, le problème se pose déjá avec un de ses auteurs-figures comme Musil!). L'écriture devient alors une «seconde nature» où la langue s'ouvre aux multiples visages du réel et les amplifie.
Résumons quelques traits essentiels:
- écrire devient «le double de vivre», auto-bio-graphie, si on entend par là mettre en langage (graphie) propre (auto) tout le Vivant (bio);
- écrire c'est quelque chose qui fait peur, mais doit advenir et advient – pas du à un destin, pas selon la convention, mais par une décision impérative du corps et risquant les «périls du puits» inhérents à tout ce qui est nouveau et au refus de fixation, pour arriver aux «plaisirs du jeu» (de la création, de la liberté de l'âme, de la «musique frontale», de l'amour plein et «impair»...). L'écriture est inséparable de la peur: «L'écriture m'avait déjá appris son incompatibilité, non pas avec le monde, comme le pensent les imbéciles, mais avec la peur. La peur? Oui, la peur. La peur d'envisager les différentes ésthétiques du monde. Le monde est purement ésthétique. Mais la sainteté y est quelque chose de trés rare.» (Le Seigneur d'Herbais, 25);
- écrire c'est poser des questions pour entrevoir la coïncidence des êtres avec eux mêmes – la forme possible de la vérité pour Llansol;
- écrire c'est répondre au juste appel du «qui m'appelle?», la question de l'homme libre, la seule qui nous fait croître, par opposition à celle de l'esclave, qui demande «qui suis-je?» et reste enfermé en lui-même;
- écrire c'est s'apercevoir du plis du monde, une fenêtre qui donne sur ce qu'on ne voit pas, mais est lá et se maniféste «dans le ressaut / le rebondissement d'une phrase». Deleuze avait déjá écrit dans son livre sur le cinéma: «Tout le réel est entouré par un brouillard d'images virtuelles». Llansol lui répond dans Le Seigneur d'Herbais: «Le regard sur le réel déclanche la vision du réel qui, dans l'invisible, lui correspond» (c'est ce qu'elle désigne d' «existants-non-réels», la matière figurale, les forces actives de l'imagination, l'énergie vivante qui remplit tous ses livres);
- écrire c'est l'investissement libidinale d'un corps-qui-écrit, quelque chose de physique constitué, selon notre auteure, par «des intuitions fulgurantes qui me laissent nue d'éxpréssion»);
- écrire c'est alors entrer consciemment dans un réel sans en exclure d'autres, rendant possible «la rencontre inattendue du divers», l'éxperience de fulgueur textualisant toute la matière figurale qui jailli de ces différents mondes. Alors que la littérature enferme la réalité dans le social, le psychologique, l'Histoire, l'écriture de la fulgueur l'ouvre aux mondes du possible;
- l'écriture est, enfin, l'espace d'une autre circulation textuelle dont la monnaie, pas la monnaie d'échange, mais la monnaie du don mutuel, est celle de l'image nue (c'est à dire sans métaphore et ouverte) en tant que dispositif-clé de la production de signification. Llansol l'explique en 2002 (dans Le Seigneur d'Herbais): «Il y a treinte ans je me suis éloignée de l'univers emotional, sans perte de sensibilité. Car ma quête m'avait amené plus loin. Sans le savoir exactement, j'ai choisi le chemin d'une construction phrasique qui puisse me donner accès au monde autonome de l'image.»

La quête de ce monde autonome de l'image, de la langue sans imposture, du «poème sans-moi», transforment le texte de Llansol dans un espace d'écriture où le référent ne se trouve, ni dans le texte (ce qui le situe hors de tout expérimentalisme ou de la métafiction autocentrée), ni dans le monde social (ce qui le libère définitivement des contraintes du réalisme), mais plutôt dans la dynamique de l' Être lui-même, dans la vibration du Vivant, dans les multiples mondes du monde. C'est à cause de cela que les livres de M. G. Llansol nous offrent toujours plusieurs portes d'accès à cet «inconnu qui nous accompagne», c'est à dire, pour elle, le monde. On dit parfois de ses livres qu'ils sont empreints de métaphysique, de ésotérisme, de mysticisme. En fait, ils n'en est rien: il s'agit là de la pure physique du langage, du carbone des affects, de la vibration des corps. Nous sommes devant un hiper-réalisme de la matière. Il ságit là de paysage (= ce que le regard libre peut voir), pas de territoire (= ce que l'oeil des pouvoirs, y compris celui de la machine de la littérature, convoite et prend pour quelque chose que lui appartient).
Le résultat a été, a partir de la moitié des années soissante-dix, dans l'exile de Belgique, et jusqu'au dernier des 24 livres publiés de Llansol depuis Le livre des communautés (1977), une oeuvre unique dans le contexte portugais et européen du vingtième siècle («Llansol sera probablement le dernier grand mythe littéraire du vingtième siècle, aprés Pessoa», a vaticiné naguère Eduardo Lourenço).
[...]

**

X

La jeune fille amémorieuse cherchait à retrouver
ses mémoires de résurrection. Elle ne se souvenait pas
même de son nom, qu’elle ne m’avait d’ailleurs jamais dit.
Elle était venue vers moi avec l’énoncé d’une seule phrase :
— Oui — me dit-elle, posant ses mains sur mes
genoux :
— Je souhaite rencontrer quelqu’un qui m’aime avec
bonté, et qui soit un homme.
Si elle était entrée dans la chambre et que, dou-
cement, l’une de ses onze portes se fût refermée sur elle
_________ je n’aurais pas été étonnée. Elle avait oublié
qu’elle avait revêtu ma robe, remarquai-je en voyant
qu’elle cherchait à se souvenir de ce qu’elle portait. Pour
prendre congé, elle fit un léger signe avec sa robe et se
dirigea vers le piano croyant, pensai-je, que c’était la porte
de sortie. L’homme leva deux de ses quatre mains, et me
conduisit à _________.